30 ans de « Loi Badinter » sur les victimes d’accidents de la route
Pour le 30ème anniversaire de la « Loi Badinter », voici un rapide point de vue télévisé, daté de décembre 1984, sur la réforme du droit de la responsabilité applicable aux accidents de la circulation.
30 ans de « Loi Badinter sur les victimes d’accidents de la route »
A l’approche du 30ème anniversaire de la « Loi Badinter », voici un rapide point de vue télévisé, daté de décembre1984, sur la réforme du droit de la responsabilité applicable aux accidents de la circulation.
Dans un style aujourd’hui vieilli, cette actualité (consultable sur le site Internet de l’INA : « Loi Badinter sur les victimes d’accidents de la route ») présente brièvement le dispositif législatif « tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation », promulgué le 5 juillet 1985.
Le reportage du journal télévisé de 1984
Jugée suffisamment importante pour justifier une diffusion en ouverture de journal, elle met au premier plan les conséquences possibles de la « loi Badinter » sur le budget d’assurance auto des ménages mais reste évasive sur la situation réelle des victimes d’accidents corporels de la route.
Cette actualité souligne, par hypothèse, une situation désormais financièrement favorable aux victimes de dommages corporels (piétons, cyclistes, passagers transportées) « aussitôt remboursé[e]s par l’assurance » et s’interroge sur le risque d’irresponsabilité juridique résultant de la loi nouvelle.
« Les compagnies d’assurance vont devoir supporter de nouvelles charges », « Ce sont les automobilistes qui en feront les frais », « Elle pose aussi un certain nombre de problèmes de responsabilité », etc.
Les images (d’archives) présentées sont croisées de déclarations « d’experts » mais sans portrait de victime d’accident de la circulation susceptible d’incarner cette actualité.
Le journal télévisé se veut proche du téléspectateur :
« Madame, Monsieur bonjour, C’est par une information qui peut tous, un jour ou l’autre, malheureusement nous concerner que nous avons décidé d’ouvrir ce journal. Les députés viennent d’adopter une loi qui établie que les piétons, cyclistes et les passagers d’une voiture accidentée à l’exception du conducteur sont considérés comme victimes et aussitôt remboursés par l’assurance, même s’ils sont en tort. Cette réforme va avoir pour effet de raccourcir les transactions d’indemnisations mais elle pose aussi un certain nombre de problèmes de responsabilité […]. »
M. Robert BADINTER, alors ministre de la Justice, expose à la tribune de l’Assemblée nationale l’inspiration centrale du projet de loi :
« Une voiture circule sur une route mouillée, elle se déporte brutalement sur sa gauche, elle heurte une autre automobile qui roulait normalement et dans laquelle une mère de famille et un enfant sont blessés. On plaide, sept années de procédure… la mère et l’enfant n’ont droit, dès lors, à aucune indemnité ; ils ont supporté leurs graves blessures, toutes les conséquences économiques, un procès interminable et ses frais et ils ont du en plus payer tous les frais de procédure et une amende au Trésor public pour un pourvoi en cassation infondé ».
Avocat renommé avant d’exercer une fonction ministérielle, Monsieur BADINTER porte les projets de lois issus des « 110 propositions » du programme présidentiel de 1981, dont la création d’un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation.
Ce « texte finalement voté par le parlement n’avait pas suscité un enthousiasme immodéré ; que ce soit de la part de ses géniteurs ou de celle de l’ensemble de la doctrine, partisans et adversaires de la réforme confondus.
Au rang des premiers, il suffit de relever les propos de M. Badinter qui, citant Clemenceau, concède qu’au lieu d’être le père d’un cheval galopant « dans le libre enclos des belles lois », il ne peut s’honorer que d’avoir donné la vie à un chameau ».
(Denis MAZEAUD, In Revue internationale de droit comparé. Vol. 48 N°4, Octobre-décembre 1996. pp. 962-964, « Dixième anniversaire de la loi Badinter sur la protection des victimes d’accidents de la circulation : bilan et perspectives », hors série de la revue « Responsabilité civile et Assurance », avril 1996).
Suite à ces images, l’association Les droits du piéton déclare sa satisfaction : « Nous sommes parfaitement satisfaits de cette nouvelle loi qui va enfin sortir le monde des victimes d’accidents de la circulation de la confusion qui existe à l’heure actuelle ».
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En effet, jusqu’en 1985, l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation relevait du seul droit commun de la responsabilité civile : au terme d’un parcours d’obstacles procéduraux, les blessés se trouvaient sans indemnisation en réparation du préjudice subi.
Jusqu’alors, les assureurs et leurs avocats s’opposaient à une évolution des mécanismes de responsabilité civile gouvernant les accidents de la circulation (Articles 1382 et suivants du Code civil).
C’est alors un arrêt de la Cour de cassation qui en appelle au législateur et donne l’impulsion pour l’élaboration d’une loi fixant un nouveau cadre de règlement des sinistres corporels de la circulation (Cour de cassation, chambre civile 2, 21 juillet 1982, N° de pourvoi: 81-12850, arrêt DESMARES).
La représentante de l’association Les droits du piéton ajoute : « Le point sur lequel nous voulons insister à l’heure actuelle également c’est que ce projet de loi ne favorise pas que les 15.000 victimes piétonnes d’accidents de la circulation par an, mais les plus de 300 mille victimes corporelles d’accidents de la circulation en général ».
Ceci est, hélas, tellement vrai qu’il faut ajouter au « plus de 300.000 victimes corporelles d’accidents de la circulation en général » près de 14.000 personnes tuées sur les routes de France à cette époque (contre 3.384 en 2014).
De façon inégale, trois catégories de victimes sont désignées :
- Les plus favorisés sont les non-conducteurs (passagers, cyclistes et piétons) âgés de moins de 16 ans et de plus de 70 ans, ainsi que celles qui sont titulaires d’un titre d’invalidité ou d’incapacité au moins égale à 80 % ;
- Les non-conducteurs sans autre condition sont indemnisés, sauf faute inexcusable et exclusive ou recherche volontaire de leur dommage ;
- Les conducteurs dont l’indemnisation peut-être limitée ou exclue en fonction de la faute commise.
Cependant, pour l’association « Auto-défense », la loi à venir serait à double tranchant :
« Je vois difficilement comment il pourrait ne pas y avoir d’incidence financière à partir du moment où les compagnies d’assurance vont devoir supporter de nouvelles charges… Or, comme les compagnies ne sont pas composées de mécènes, il est évident que tôt ou tard ce sont les automobilistes qui en feront les frais.
À l’heure actuelle, les assureurs prétendent effectivement qu’il n’y aura pas de hausse des tarifs mais je crois que malheureusement c’est faux et on a déjà vu, par le passé, que les assureurs révisaient aussi souvent leur jugement que leurs tarifs ».
La loi « Badinter » ne pouvant être évitée, la Fédération française des compagnies d’assurance porte la conversation sur un terrain plus « neutre » :
« Les assureurs ont depuis toujours approuvé les positions qui consistent à indemniser plus largement, systématiquement, les piétons et cyclistes même responsables d’accidents, surtout lorsqu’il s’agit de personnes qui sont âgées de moins de quinze ans ou de personnes âgées de plus de soixante quinze ans. C’est bien naturel, le risque là de l’environnement automobile est beaucoup plus important, les conséquences sont beaucoup plus graves et il s’agissait d’un problème humain qu’il fallait prendre en compte […] ».
L’article 3, alinéa 1, de la loi dispose en effet : « Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules à moteur, sont indemnisés des dommages résultant des atteintes à leur personne, qu’elles ont subies, sans que puisse leur être opposée leur propre faute, […] ».
Selon la Fédération française des compagnies d’assurance, ce « problème humain » ne doit toutefois pas faire obstacle à l’obligation de répondre d’actes fautifs excluant tout droit
à indemnisation… au profit de l’assureur : « Cela dit, effectivement, il ne faut pas que la responsabilité des individus soit remise en cause. Aussi, le projet de loi a-t-il prévu que, dans certains cas, faute inexcusable : ivresse, infraction grave au Code de la route… bien sûr cette indemnisation ne serait pas prise en compte ».
Effectivement : « […] A l’exception de leur faute inexcusable, si elle a été la cause exclusive de l’accident et des cas où la victime a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi » (Article 3, alinéa 1 de la loi « tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation »).
Depuis 1985, « la jurisprudence [a] connu quelques péripéties en la matière » (Colloque « Les 30 ans de la loi Badinter – Bilan et perspectives », Université de lorraine, Faculté de Droit, Economie et Administration de Metz, 29 mai 2015). La loi « Badinter », en facilitant et accélérant les procédures d’indemnisation, a bouleversé la situation des victimes d’accidents de la circulation.
Malgré cela, trop souvent, les victimes, vulnérables et privées des conseils d’avocats spécialisés, acceptent à tout prix la transaction qui leur est proposée.
« De manière globale, 96,3% des victimes avec AIPP acceptent l’indemnité proposée par l’assureur ou le FGAO. » (Fichier des indemnités allouées aux victimes d’accidents de la circulation).
En revanche, seuls 3,2 % des dossiers de demandes d’indemnisation font l’objet d’une procédure judiciaire et 0,5 %
d’entre eux d’une procédure d’appel, selon la même source (Fichier AGIRA géré par la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA), le Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurances (GEMA), le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de dommages (FGAO).
Enfin, « D’autres éléments sont perfectibles ».
Ainsi, « D’après une enquête publiée le 7 janvier 2015 par une association de défense des consommateurs et des usagers, l’insuffisance d’information place les victimes dans une situation d’infériorité.
De même, l’examen médical préalable à la proposition révèle
le défaut d’indépendance de certains médecins conseils. » (Colloque « Les 30 ans de la loi Badinter – Bilan et perspectives », Université de lorraine, Faculté de Droit, Economie et Administration de Metz, 29 mai 2015).