La tierce personne dans la réparation du préjudice corporel
Les besoins en matière de tierce personne font souvent l’objet d’une évaluation incomplète, déplore Maître Sophie Périer-Chapeau, du Cabinet Legistia Périer Chapeau Avocats.
Interview de Maître Sophie Périer-Chapeau, parue dans latribune.fr le 8 avril 2024.
L’importance de la tierce personne est-elle correctement prise en compte dans les dossiers concernant l’indemnisation des dommages corporels ?
La réparation du préjudice corporel repose sur le principe du droit à réparation intégrale et in concreto.
Autrement dit, l’indemnisation du préjudice doit permettre de replacer la personne victime dans la situation qui était la sienne avant le fait dommageable.
Le besoin en tierce personne doit donc permettre à la victime d’être substituée ou aidée dans tous les actes de la vie quotidienne, mais également d’avoir droit au respect de sa dignité, sa sécurité, aux activités d’agrément…
Cependant, les missions d’expertise d’évaluation du préjudice corporel demandent à un expert qui est le plus souvent un médecin expert, de répondre à la question suivante :
« Dire si l’assistance d’une tierce personne constante ou occasionnelle, spécialisée ou non, est ou a été nécessaire, en décrivant avec précision les besoins (niveau de compétence technique, durée d’intervention quotidienne) »
Faute d’interroger l’expert sur des items précis, la réponse est en règle générale globalisée, avec une évaluation au doigt mouillé, par correspondance à ce qui est retenu habituellement.
Justement, quels sont les problèmes que l’on rencontre lors de l’expertise ?
L’évaluation ne se fait donc pas in concreto mais de façon forfaitaire.
Il a été régulièrement demandé d’affiner cette évaluation du besoin en tierce personne (notamment sous la forme d’un questionnaire de dépendance détaillé sur les besoins de la victime au quotidien, mais également ses activités occasionnelles comme loisirs, vacances, sorties extérieures… avec l’aide d’un expert ergothérapeute) afin que l’expertise se prononce plus précisément sur chaque besoin. À ce jour, ces demandes aboutissent peu.
Les rapports d’expertise prennent rarement en compte les difficultés rencontrées par les personnes handicapées pour, par exemple :
- Se rendre dans un restaurant, une boutique, un cinéma, un théâtre… dont l’accès est précédé de plusieurs marches ou de seuils infranchissables ou dangereux en fauteuil roulant et/ou avec des cannes
- Se loger à l’extérieur de son domicile, dans un hôtel, dans la famille ou chez des amis dont les chambres, sanitaires et pièces de vie ne sont pas adaptés au handicap
- Effectuer des déplacements en train ou en avion difficilement accessibles
- Transporter des bagages volumineux (comprenant les consommables, aides techniques …) dont la victime est dépendante quotidiennement
- Effectuer des activités de loisirs
- ou d’autres cas possibles…
L’ensemble de ces situations emporte un besoin en tierce personne supplémentaire pour que la victime puisse avoir accès aux mêmes activités qu’une personne valide. Or, une expertise de quelques heures au cours de laquelle sont évalués tous les préjudices indemnisables (préjudice professionnel, besoin en logement adapté, dépenses de santé, préjudice esthétique,. ) ne le permet pas.
De même, on rencontre encore trop souvent des références à des idées erronées, comme la réduction du besoin en aide humaine au motif que la victime bénéficie d’un entourage familial. L’aidant familial est ainsi considéré par l’expert comme un aidant naturel qui ne doit pas être comptabilisé dans les heures d’aide humaine indemnisables.
Cette évaluation, contraire à une jurisprudence constante (Cass. 2 e civ., 17 décembre 2020, n°19-15.969 ; Cass. 2 e civ., 15 décembre 2022, n°21-16609), place la victime dans une situation précaire. Le décès, la séparation, la maladie de l’aidant familial… amputerait alors la victime handicapée de nombre d’heures d’assistance pourtant nécessaire à l’accomplissement des actes de la vie quotidienne, de ses activités d’agrément, de ses déplacements… De plus, elle oblige de facto la famille à devenir l’aidant ce qui lui est imposé par le handicap et n’est donc pas choisi.
Qu’en est-il de l’indemnisation proprement-dite ?
Comme pour l’évaluation du besoin, celle du taux horaire de l’aidant se fait encore trop souvent sans référence au prix réel du coût d’emploi, toutes charges confondues, de la tierce personne.
- On applique un taux horaire différent pour les heures d’aide humaine dites « active » de celles dites « passives ».
L’aide passive se retrouve indemnisée à hauteur d’un taux horaire nettement inférieur au SMIC (toutes charges confondues), ce qui de facto revient à ne pouvoir embaucher aucun aidant.
- On indemnise la tierce personne future sous forme de rente sur la base d’un taux horaire défini à la date du jugement ou de la transaction, sous couvert d’une revalorisation tous les ans selon les coefficients de revalorisation prévus par l’article L 434-17 du code de la sécurité sociale.
Or :
- l’indexation de la rente est souvent inférieure à l’évolution du SMIC
- l’indexation de la rente n’évolue pas au même rythme que celle des loyers et du coût de la vie.
D’autre part, la rente perçue est soumise à la fiscalité sur les revenus (contrairement aux sommes versées en capital) puisqu’elle doit être déclarée auprès de l’administration fiscale, conformément aux articles 79 et 1-A du Code Général des Impôts.
La réparation des frais de tierce personne post consolidation est alors amputée du montant de l’impôt que la victime va devoir verser.
A plus ou moins long terme, la victime se retrouve dans l’incapacité de payer ses aidants dont le taux horaire a suivi l’évolution des salaires (dont le SMIC) alors que la rente a été revalorisée en deçà du coût de l’emploi d’un aidant.
- Le taux horaire est fixé à une somme forfaitaire, dégagée de toute correspondance avec le marché du travail.
Ainsi, il est encore régulièrement alloué une somme forfaitaire de 15, 16, 17 euros de l’heure.
A l’inverse, la prestation compensatoire du handicap « aide humaine » est en 2022 fixée à 22 euros de l’heure, en 2023 à 23 euros de l’heure et en 2024 à 23,50 euros de l’heure.
Si la solidarité nationale tend à permettre un emploi effectif de l’aidant, selon le taux réel du coût de l’emploi, il doit en être nécessairement de même pour l’indemnisation intégrale du préjudice de la victime de dommage corporel.
L’État encourage le retour à domicile en apportant un financement supérieur à celui accordé pour un maintien en institution.
Une revalorisation des salaires de l’aidant est donc nécessaire pour permettre ce retour à domicile.
Confrontées à ces enjeux et difficultés, les associations d’aide à domicile fixent désormais leur taux horaire a minima à 25 euros voire 34 euros ou plus encore selon les régions et les tâches demandées.
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Définition de la tierce personne dans le lexique.