Les actions de groupe dans le domaine de la santé, le point de vue d’un avocat de victimes
Colloque annuel de la Compagnie des Experts Médecins près la Cour d’Appel de Paris, le 20 juin 2015
Par Pierre-Yves CHAPEAU
Colloque annuel de la Compagnie des Experts Médecins près la Cour d’Appel de Paris, « Une évolution du contentieux de la santé et de l’expertise médicale : L’introduction des actions de groupe dans le domaine de la santé ».
Une évolution du contentieux de la santé et de l’expertise médicale : L’introduction des actions de groupe dans le domaine de la santé
Samedi 20 juin 2015, auditorium de l’Hôpital Européen Georges-Pompidou (20 rue Leblanc – 75015 Paris)
Un compte-rendu du colloque de la compagnie des experts médecins près la cour d’appel de Paris, le 20 juin 2015 à Paris, dans la rubrique Reportages de la Revue Experts, résume les diverses interventions :
La naissance des actions de groupe
« Les actions de groupe ne sont apparues que très récemment dans le droit français. Pour l’instant, seuls les domaines de la consommation et de la concurrence sont concernés par ce dispositif, inspiré des « class actions » américaines, qui permet à plusieurs personnes de lancer conjointement une action de justice portant sur le même préjudice.
Depuis le 1ᵉʳ octobre 2014, date de l’entrée en vigueur de la loi Consommation (dite loi Hamon), six actions de groupe ont été déposées par des associations agréées de défense des consommateurs, dans les secteurs du logement, de l’hébergement touristique, des services financiers et des télécommunications.
Deux projets de loi visent à étendre le champ d’application des actions de groupe en France : celui sur la justice du XXIᵉ siècle, qui prévoit la création d’un cadre commun aux actions de groupe, en particulier en matière de discrimination collective dans l’accès à l’emploi et dans les relations de travail ; et le projet de loi Santé, qui prévoit la possibilité pour des patients de s’unir pour demander une réparation des préjudices corporels causés par l’utilisation de produits de santé.
Contrairement à l’action de groupe en consommation, le projet de loi Santé n’exige pas que les associations d’usagers soient représentatives au niveau national. Actuellement, il existe 138 associations d’usagers agréées au niveau national et 331 au niveau régional. 469 associations d’usagers auraient donc en l’état qualité à agir pour introduire des actions de groupe dans le domaine de la santé.
Établissement des responsabilités de chacun par l’expert médical
L’action de groupe en matière de santé est censée permettre une meilleure mobilisation des usagers, garantir une défense homogène des victimes, et réduire le délai d’indemnisation.
L’un des objectifs de la loi, selon ses promoteurs, est, par ailleurs, de restaurer la confiance des patients concernant les médicaments.
« Le domaine médical se prête à l’action collective », assure Maître Sabine Gibert, docteur en droit spécialisée dans les domaines de la santé et de la réparation des accidents médicaux, et collaboratrice du cabinet DLA Piper.
« Entre le moment où un nouveau traitement est commercialisé, et celui où de nouveaux dommages vont se révéler, il s’écoule une assez longue période pendant laquelle une certain nombre de personnes peuvent être victimes du progrès médical. » Sabine Gibert a, en revanche, des doutes sur la réduction du délai d’indemnisation, vantée dans le projet de loi. Si le professionnel conteste sa responsabilité, l’éventuelle indemnisation des victimes pourrait n’avoir lieu que de nombreuses années après l’introduction de l’action de groupe.
Le projet de loi Santé précise que le juge, saisi de la demande d’action de groupe, pourra ordonner toute mesure d’instruction, y compris une expertise médicale.
« Il y a, par ailleurs, l’idée d’une mutualisation des dépenses dans ce projet de loi, car le texte permet aux victimes de partager les coûts d’expertises et de contre-expertises, qui son souvent onéreux », signale Maître Pierre-Yves Chapeau, avocat au barreau de Rouen.
Les personnes qui auront recours aux actions de groupe dans le domaine médical devront notamment définir la ou les structure(s) contre la (les)quelle(s) agir : le producteur du produit de santé, le fournisseur (par exemple, un pharmacien), le prestataire utilisateur du produit de santé (par exemple, un chirurgien qui pose une prothèse).
« L’expert aura notamment pour mission d’identifier très tôt le partage des responsabilités, identifier les manquements de chacun à ses obligations légales ou contractuelles. On sait qu’en matière d’accidents médicaux, on trouve souvent des causes et des acteurs multiples. (…) Et l’expert devra aussi déterminer quels cas individuels présentés par les associations doivent donner lieu à un droit à réparation au titre d’un dommage imputable à un produit de santé. Ensuite, il faudra définir les contours de ce groupe des usagers victimes et les critères de rattachement, par exemple l’inclusion ou non des personnes soumises au risque et qui ne sont pas encore malades », explique Sabine Gibert.
Des difficultés possibles pour établir l’imputabilité
Quelques difficultés posées aux experts médicaux par les actions de groupe dans le domaine de la santé apparaissent déjà. « Dire qu’il y a des liens entre la prise de tel produit et tel type de dommages, c’est relativement possible. Mais être capable de dire : « Pour ce patient-là, il y a un lien, et ces dommages-là sont imputables au produit de santé, ceux-là, non », c’est beaucoup plus compliqué. C’est le nœud du problème. Cette difficulté avait déjà été rencontrée lors de l’affaire du Mediator », rappelle Sabine Gibert.
Françoise Kamara, conseiller à la Cour de cassation et présidente de la commission des clauses abusives, estime que pour résoudre en partie ce problème, l’expert pourra s’inspirer de la notion de « conséquences anormales au regard de l’état de santé », qui figure à l’article L1142-1 du Code de la santé publique.
« Cette notion, qui faisait peur aux experts au départ, a maintenant fait ses preuves. Pour l’expert médical, il s’agira de déterminer l’évolution de l’état du patient sans la prise du produit de santé mis en cause, ou avec la prise d’un autre produit », précise-t-elle.
Dans le cadre des actions de groupe dans le domaine de la santé, l’expert médical devra certainement déterminer également le délai limite pendant lequel les effets délétères du produit pharmaceutique incriminé peuvent apparaître. « Le projet de loi prévoit qu’une personne pourra être incluse dans le groupe au cours d’une période qui ne pourra être inférieure à 6 mois et supérieure à 5 ans », précise Sabine Gibert.
« Pour définir ce délai, le juge aura très certainement besoin de l’avis d’un expert médical concernant notamment le délai d’apparition des effets nocifs dus à la prise du produit de santé. Si on pense à la maladie de Creutzfeldt-Jakob, cinq ans, ça parait assez court. »
Programme du colloque
9 heures 25 – Ouverture Professeur Denis Safran, Président de la CEMCAP
- 9 heures 30 – Les actions de groupe dans le domaine de la consommation
Maître Benoît JAVAUX, Avocat au Barreau de Paris
- 9 heures 55 – Les actions de groupe dans le domaine de la santé (projet de loi)
Maître Michèle ANAHORY, Avocat au Barreau de Paris
- 10 heures 20 – Les actions de groupe dans le domaine de la santé, le point de vue du Magistrat
Madame Françoise KAMARA, Conseiller à la Cour de cassation, Présidente de la Commission des clauses abusives
- 10 heures 55 – Les actions de groupe dans le domaine de la santé, le point de vue d’un avocat de victimes
Maître Pierre-Yves CHAPEAU, Avocat au Barreau de Rouen
- 11 heures 20 – Table Ronde – Discussion avec les intervenants
- 12 heures 30 – Clôture Professeur Denis SAFRAN, Président de la CEMCAP